Et... c'est... fini !
Je peux enfin m'essuyer le front en souriant à pleine dents et admirer mon travail, avec une fierté que je ne vous cacherai pas.
Après plusieurs semaines à avoir travaillé sur ce vêtement entre deux sessions de shootings, de défilés et de coups de main donnés à Owen pour son bar, mes efforts sont enfin récompensés : sous mes doigts, l'un de mes dessins de robe vient de prendre vie.
Si vous saviez comme c'est gratifiant pour moi de pouvoir enfin la dérouler et la faire bouger devant moi en sachant qu'il n'y a plus rien à ajouter dessus pour qu'elle corresponde parfaitement à mes dessins, c'est véritablement un bonheur. Fini les petites broderies à ajouter en étant assise en tailleur sur le sol dans une pièce brûlante, fini les reprises improvisées après la nuit tombée sous la lumière d'une lampe qui fait mal aux yeux !
Aaaah... Vraiment, la seule hâte que j'ai maintenant, c'est d'enfiler ce nouveau bébé pour voir ce qu'il donne une fois porté.
Alors je ne vais pas me gêner, tiens !
Fissa, j'envoie mon débardeur et ma jupe voler sur mon lit et j'enfile avec précaution mon vêtement fraîchement terminé, prenant garde à ne pas aller trop vite - on ne sait jamais, je pourrais avoir oublié une aiguille quelque part là-dedans. Je rétracte légèrement mes ailes en me concentrant, le temps de les passer dans les deux fentes que j'ai prévu pour elles puis les relâche pour les remettre à échelle normale, sans trop d'effort - le point positif quand je sais exactement où elles sont placées sur le vêtements, puisque je les ai faites moi-même.
J'imagine que j'ai fait plus attention que la dernière fois parce qu'en remontant tranquillement la fermeture éclair dans mon dos, force est de constater que rien ne vient piquer ma peau par inadvertance. Pour une fois que je ne suis pas tête en l'air, je suis plutôt fière de moi.
La robe enfilée, je me rue vers mon miroir pour regarder le produit final et... waouh. Je suis obligée de me tourner dans tous les sens pour bien pouvoir l'admirer sous toutes ses coutures et observer comment elle bouge pour accompagner mes mouvements.
C'est pas pour me vanter, mais je crois que c'est vraiment ma plus belle pièce. Le tissu bleu pâle de la partie principale de la robe ne fait pas le moindre pli et le voilage léger en transparence que j'ai ajouté au-dessus donne l'impression de flotter par-dessus sans le moindre effort. Je suis particulièrement contente du résultat que donne la partie sur les côtés de la robe, qui dévoile le tatouage sur mes côtes. J'avais peur que ça fasse vulgaire de montrer autant de peau, mais c'est finalement assez subtil pour qu'on ne le remarque même pas forcément de premier regard.
Aaaah...
Je souris largement à mon reflet dans le miroir en jouant avec le bas de la robe puis le relâche, observant son tissu retomber souplement : la seule chose que j'ai envie de faire maintenant, c'est d'aller la porter à l'extérieur. Après avoir passé ma matinée à la finir sur mon jour de congé, je pense que j'ai bien le droit de m'offrir une petite récompense en prenant un smoothie en ville après tout.
Oui, je crois bien que je le mérite.
Alors c'est parti. J'enfile un petit short blanc pour ne pas finir dans une position obscène en cas de coup de vent, j'attrape mon sac en jean que je lance sur mon épaule, j'y fourre mon porte-monnaie, un tube de crème solaire, mes clefs et mon portable et je n'attends pas plus longtemps pour me diriger vers la porte de mon appartement. Sur le chemin, je saisis mon baladeur mp3 et mes écouteurs et en moins de temps qu'il n'en faut pour dire smoothie, me voilà déjà chaussée et à l'extérieur de l'immeuble, gonflant mes poumons d'un air certes légèrement pollué, mais agréablement frais.
Le temps radieux d'aujourd'hui ne me donne qu'une seule envie : celle d'étirer mes ailes et de les utiliser un peu, quelque chose que je n'ai que trop rarement l'occasion de faire ces derniers temps. Alors vous savez quoi ? Je ne m'en prive pas. Après tout, je porte un short sous ma robe et personne ne va chercher à observer le ciel, alors pourquoi me retenir ?
Il ne me faut qu'un petit peu d'élan pour m'élever dans les airs, dépassant rapidement la hauteur de l'immeuble où je vis pour me stabiliser. Là, j'observe la ville qui s'étend à perte de vue devant moi, pas mécontente de pouvoir utiliser les muscles un peu atrophiés de mes ailes qui semblent me faire part de leur bonheur d'être enfin à nouveau utilisés : je pense qu'avant d'aller boire mon smoothie, je vais faire une petite balade aérienne, tiens...
~~~
Pfiou.
Vous savez, j'adore voler, vraiment, mais je dois dire que je n'en apprécie que davantage lorsque je retourner les pieds sur terre.
C'est pour ça que je suis maintenant dans le parc de la ville, marchant tranquillement avec les ailes soigneusement repliées dans mon dos. C'est un autre type de bouffée d'air pour moi, après avoir passé tout ce temps à me dépenser dans les airs.
Il faut avouer que j'aime beaucoup aller dans ce parc. Ici, j'oublie un peu les tracas et la pollution du reste de la ville, c'est comme un joli cocon de nature préservé dans un environnement qui devrait l'oppresser. Je trouve ça poétique, en quelque sorte. Je suis peut-être un peu étrange de penser ça, mais ça ne fait rien, je sais que d'autres hybrides me comprendraient. Peut-être.
Ou alors c'est juste moi qui ai une façon de penser pas très conventionnelle, qui sait.
Mais je ne vais pas passer des heures à me pencher sur cette question et je préfère donc concentrer sur ce qui m'entoure, alors que je continue de marcher tranquillement sur le petit sentier du parc. Dans quelques mètres, je serai arrivée à l'endroit où je préfère m'asseoir, au pied d'un grand arbre feuillu qui me garde toujours à l'ombre. J'ai l'intention de m'y installer quelques minutes pour écouter un peu de musique, et simplement profiter de l'extérieur.
Cette journée s'annonce réellement magnifique, c'est un bonheur.
« Caelan Anderson ?! »Attendez, je n'ai pas rêvé, quelqu'un vient de dire mon nom ?
Je m'arrête, à la recherche de la personne qui a bien pu m'appeler.
Je ne reconnais pas cette voix, mais peut-être est-ce l'une des personnes avec qui je travaille qui vient de s'adresser à moi ? Pourtant même en regardant autour de moi, le seule visage qui me fait face est celui d'une parfaite inconnue, un visage que je pense que j'aurais retenu si je l'avais déjà vu auparavant.
C'est une jeune fille aux cheveux rose et à l'allure soignée et féminine qui me regarde droit dans les yeux. Le genre de personne que je n'ai pas vraiment l'habitude de côtoyer en-dehors de mon travail.
Oui, bon. D'accord.
Que je n'ai pas l'habitude de côtoyer tout court, si l'on compte le fait que je ne discute que très rarement avec mes collègues.
Comme il faut bien que je laisse passer la surprise, je me reprends assez rapidement, clignant quelque fois des yeux avant de lui lancer un regard interrogatif alors que je me tourne vers elle.
« Euh... oui ? »Je passe une mèche de mes cheveux derrière mon oreille droite et regarde à gauche, puis à droite, avant de reposer à nouveau mon regard sur elle. Peut-être que j'ai mal entendu, peut-être qu'elle ne m'a pas du tout appelé en fait ?
Mais non. J'ai bien entendu mon nom, et je ne vois pas pourquoi mon cerveau aurait inventé cette information de lui-même. Mais je ne vois pas non plus pourquoi une inconnue viendrait m'appeler comme ça dans le parc. Ça voudrait dire que...
Oh non.
Par l'Unique.
Ne me dites pas que je connais cette fille et que je l'ai oublié ?
Je lisse nerveusement le bas de ma robe de ma main libre, la seconde tenant la anse de mon sac alors que je m'avance légèrement vers elle tout en reprenant la parole.
« Excuse-moi mais... est-ce qu'on se connaît ? »Si elle me répond que oui, je vous jure que je retourne m'envoler sur les toits des immeubles et que je m'en jette.
Parce que je ne saurai vraiment pas où me mettre si j'ai réussi à oublier quelqu'un que je suis censée connaître : je vais finir par croire que je suis vraiment un cas désespéré avec les relations sociales, c'est tout simplement catastrophique.