Lever de rideau ; l'on découvre Mino, dans ses états d'âme habituels. Elle ne sourit pas et elle s'énerve pour un rien.
Tous les jours, c'est pareil. J'en ai marre d'arroser ces plantes à la con. Eh ouais, tous les jours, je m'en plains. C'est bon, lâchez-moi la grappe, j'suis seule dans ma tête ; je fais ce que je veux, c'est chez moi. Puis ça fait de mal à personne. Pourtant, j'aimerais bien, parfois. Ca me défoulerait un peu.
Mino arrive devant des fleurs à la signification bien particulière : les pâquerettes. Comme à chaque fois, elle passe un peu plus de temps devant ces pots-là.
Sérieux, Bodasse, pourquoi tu me fais ça ? Je suis trop sentimentale, ça va plus. Elles sont dégueux, ces pâquerettes, et personne les achète jamais. Je peux comprendre, hein, j'veux dire ; on en trouve dans tous les jardins. C'est les fleurs les plus banales de la planète, les pâquerettes. Pourquoi c'étaient ses préférées ? J'ai jamais compris. Il avait un grain, le vioche.
Puis elle poursuit sa journée, qui ressemble à toutes les autres en tous points.
C'est pas pour rien que la vie, ça rime avec ennui, que voulez-vous.
La journée touche à sa fin. Mino rentre chez elle ; elle ferme tout, comme il faut, avant de partir. Arrivée à son appartement, qui n'a pas changé d'un pouce depuis son emménagement, elle grignote quelque chose.
J'ai jamais beaucoup mangé. On m'a toujours dit que j'étais trop maigre. Quelles conneries, sérieux. Personne n'en a rien à foutre, que je sois trop maigre.
Cela fait, elle va se prendre un bain.
Y a pas beaucoup de monde qui le sait - on le devinerait pas en me voyant -, mais j'adore prendre des bains. C'est le seul moment où je me sens propre. Chaque fois je me dis que j'aimerais bien avoir ma mère dans la pièce d'à-côté, juste pour lui dire que non, j'suis pas sale. J'ai couché avec mon frère, mais il suffit de prendre un pauvre bain, et pouf ; propre comme un sou neuf, la Mino. Tous les soirs, je fais la même chose. C'est con, mais ça me rend heureuse.
Comme toujours, elle a pris avec elle un papier ; il suffit de s'y pencher d'un peu plus près pour se rendre compte qu'il s'agit d'une missive.
Ce qu'il a une belle calligraphie, mon Lule. C'est la seule lettre qu'il a réussi à m'envoyer, juste après que nos parents nous aient séparés. C'est un meilleur poète que moi, pour sûr. Y a pas une faute d'orthographe, en plus. Quand je relis cette lettre, je deviens la fille la plus chanceuse du monde. Je la connais par coeur, maintenant. Combien d'années ça fait, déjà ?
Putain, qu'est-ce qu'il a bien pu me trouver ?
Fait inhabituel, Mino ne quittera pas cette baignoire.
À vrai dire, elle est bien partie pour y rester un long moment.
À côté d'elle, sur le lavabo, repose en paix une petite note.
De toute façon, ça servait à rien.
Rideau.