Juste un coup de main. • Lenzo •

Lenz, il faudrait vraiment qu’il apprenne à arrêter de faire le malin. Il n’a plus son insigne, plus d’autorité, plus rien. Juste une jambe de bois. Il devrait s’en rappeler plus souvent. Il aurait dû, à ce moment là, quand quelques gamins probablement pas très nets se sont mis à l’interpeller d’une façon plus ou moins agréable, juste passer chemin. Il aurait dû, mais il ne l’a pas fait. A la place, il a pivoté sur place, il a cherché à faire la leçon aux mioches.

Mais les mioches, ils avaient une longueur d’avance sur Lenz. Plus de répondant, plus de mordant. Là où plein de gens avaient l’habitude de trouver notre éclopé impressionnant, perché sur sa jambe de fer et dépassant la majorité de ses pairs, ces gamins semblaient le voir comme un misérable petit étron, vu comme ils s’adressaient à lui. Bien sûr, il fût bien vite dépassé par les événements.

On lui avait bien dit pourtant de faire gaffe dans ce quartier. De pas jouer les héros, de pas répondre aux provocations. Il avait assuré qu’il serait sage, qu’il n’y resterait pas plus d’une heure ; juste le temps de récupérer ce qu’il allait chercher et de rentrer. Lui qui se vantait tant d’être un Homme de parole, on ne pouvait pas dire que cela ce confirmait à ce moment-là.

Eh, les mômes, vous arrêtez de faire chier votre monde, ou vous préférez, devoir rentrer chez vous à coup de satons ? A moins que vous préfériez encore vous faire bouffer le cul par un gros chien. Ah ça s’il s’y attendait. Ce gars là, sortant de nulle part, et choppant un des mioches par le col, Lenz ne l’avait pas du tout vu venir. Il ne lui avait pas fallu trop longtemps pour comprendre qu’il avait face à lui un hybride, probablement d’un animal pas très commode, vu la gueule que tiraient les gamins. Allez, barrez-vous vite fait. Efficace, apparemment, les sales gosses ayant totalement détalé dès qu’ils en eurent l’occasion. Ah si seulement Lenz connaissait la technique.

Lenz fixait cette personne qui venait de le sortir bien gentiment du pétrin dans lequel il s’était fourré presque tout seul. Eh, c’était un gamin lui aussi, sûrement un peu plus vieux que ceux qui venaient de filer la queue entre les jambes, mais il semblait tout de même être assez jeune. Lenz était prêt à en déduire que pour faire fuir des gamins, il faut être un gamin aussi. Ou être armé, éventuellement. Mais les armes, il n’avait plus le droit d’en porter. Et un gamin, il n'en était plus un depuis longtemps. Bref, c'était peine perdue pour lui.

«Heu.. que.. Merci.» Il se gratta la tête, pas sûr de ce qu’il était censé dire dans ces moments là. « Je savais pas comment m’en débarrasser, j’avais peur de devoir y passer la nuit, ahah. » Ca, c’était pas mal, il se disait. En même temps c’était la vérité, il était pratiquement sûr que s’il avait cherché à simplement partir, les mômes l’auraient suivi, voire ne l’auraient même pas laisser faire un pas, en fait. Il fallait qu’il ravale un peu sa fierté, parce qu’admettons-le, il était bien content que quelqu’un soit venu à son secours, pour une fois.

Pour Lenz, le gamin face à lui lui donnait réellement l’impression que ce qu'il venait de se passer était quelque chose d’absolument normal. Quelque chose qui arrivait régulièrement, rien de particulier. D’un côté, c’était probablement le cas, notre ancien flic était bien placé pour le savoir. Mais tout de même, cela l’attristait un peu, de savoir que de jeunes personnes vivaient cela de façon quotidienne. Enfin, ce n’était pas comme s’il pouvait y changer quelque chose, de toute façon.

Honnêtement, ils seraient sûrement partis avant. Ils sont cons, mais ils s’ennuient vite. Et on va dire que leurs couilles sont parties faire un tour dans leurs plumards. So, ils risquent pas de t’emmerder à nouveau. Il avait vraiment l’air de s’y connaître, et avait sûrement raison, quoiqu’on en dise. Lenz avait hoché la tête pour simple réponse, il n’avait rien à y ajouter de toute manière, le gamin avait bien résumé.

Et puis la pluie. Lenz leva les yeux vers le ciel, voyant sans problème de grosses goûtes tomber vers le sol. Il ne manquait plus que ça. Il pesta presque silencieusement, marmonnant quelques petites choses qu’il était le seul à comprendre, se glissant sous l’abribus, espérant que celui-ci serait une bonne protection. Disons qu’il n’avait pas vraiment envie de rouiller, parce qu’il se trouvait que ce n'était vraiment pas pratique de rouiller. Lui qui comptait rentrer à pied, il devrait peut-être se résoudre à prendre le bus. Ou le métro. Non, définitivement le bus. Il n’était pas encore désespéré au point de vouloir prendre le métro. Celui-ci ne serait qu’en cas d’extrême urgence.

Son regard se retourna vers le gamin. Il se disait qu’il se devait de le remercier d’une meilleure façon qu’un simple « merci ». Après tout, il lui avait sauvé sa journée alors qu’il n’était pas du tout obligé. Il aurait simplement pu passer à côté comme toutes les autres personnes l’avaient fait avant lui. Lenz ne savait pas trop quoi faire pour démontrer sa gratitude, malheureusement, mais il tenta le tout pour le tout. « Hey. Tu vas où ? Je pourrais t’offrir un café si tu veux, tu le mérites bien je pense. Ou autre chose. » Et puis même si le gamin refusait, il ne le vivrait pas mal. Au moins il avait proposé quelque chose, hein.

Sorry bro’, j’dois aller à Xényla, peut-être une autre fois pour le café mdr. Emdéaire ? Sûrement du language de jeune, se disait Lenz. Mince, les années commeçaient à peser, à bien y réfléchir. Meh. Il haussa les épaules à la réponse du gamin, au moins il avait bonne conscience d’avoir proposé quelque chose. Lenz n’avait pas suivi le kid du regard lorsque celui-ci était rentré dans le bus, non, il avait préféré s’intéresser aux horaires des véhicules qui pourraient le ramener pas trop loin de chez lui.

Encore dix minutes à tuer, apparemment, si son téléphone ne mentait pas sur l’heure et si le bus ne si décidait pas d’être en retard. Lenz regardait les gouttes qui tombaient dans les flaques à peine formées. Ca allait être dix longues minutes, pensait-il. Sans compter que la batterie de son téléphone était bien trop faible pour prendre le risque de s’en servir pour s’occuper, cela serait encore pire de devoir rentrer avec un appareil éteint et inutilisable.

Il cherchait tout et n’importe quoi pour meubler le vide ennuyeux qui emplissait jusqu’à présent son esprit. Et c’est là que quelque chose avait retenu son attention. Une pub, placardée sur l’arrêt de bus d’en face, pour un magasin de bricolage. Promotion sur les pelles, apparemment. Il ne quittait plus l’affiche des yeux, notant mentalement de quel magasin il s’agissait et en quoi consistait la promotion. Il se disait que c’était un signe, qu’il était enfin temps qu’il s’achète une plante (et donc la pelle qui va avec, probablement ?), qu’il était enfin prêt à s’occuper de quelque chose de vivant.

Puis quelque chose lui obstrua la vue. Ah, bien, son bus. Peu de gens allaient là où il allait, semblait-il. Tant mieux, celui lui évitait les bousculades en montant. S’installant sur le siège qu’il avait prit son temps à choisir, il sortit son téléphone, grillant un petit pourcent de batterie pour noter les détails qu’il avait retenu de l’affiche. Parce que de toutes façons, s’il ne le notait pas, il l’oublierait, c’était sûr.