Dwayne Maldwyyn [FINI]

Dwayne est né deuxième d'une fraterie de neuf enfants – enfin, onze à la base, mais deux d'entre eux n'atteignirent pas les quatres ans – alors que sa mère était âgée de seize ans à peine. Il a grandi avec ses deux parents, qui ne s'aimaient pas mais se respectaient plus ou moins. Leur père travaillait énormément pour subvenir à leurs besoin, il avait toujours eu l'air si fatigué, et il l'a au final très peu connu. Il ne passait pas beaucoup de temps avec ses enfants. Dwayne adorait ses frères et soeurs, et quand le plus grand prit son indépendance, il dut endosser le rôle d'aîné de la maison. Cela ne le dérangeait pas plus que ça, il était tout fier de ces nouvelles responsabilités. Mais leur mère tomba malade ; quelque chose de grave, et qui serait long à soigner, si seulement on arrivait à l'en guérir. Alors âgé de treize ans, il arrêta l'école pour se consacrer entièrement à ses cadets et s'occuper de l'auteure de ses jours affaiblie. Elle n'était pas d'accord, mais il ne lui avait guère laissé le choix. De toute façon, il savait compter, lire et écrire, pas besoin de plus. Il n'a jamais repris les études, mais ne l'a pas regretté : s'occuper de sa famille lui aura apporté bien plus, selon lui.
Quand il arriva au stade de ses vingt ans, les deux soeurs nées juste après lui étaient suffisamment grandes pour prendre le relais. Mme Maldwyyn avait vaincu la maladie, mais elle ne pouvait plus prendre soin de ses enfants seule. C'était une femme pleine de bienveillance, malgré sa sévérité, que Dwayne avait toujours admirée. Elle voulait qu'il s'en aille et qu'il se construise une vie. Seulement, il se retrouvait sans le moindre diplôme, très peu de connaissances, et pas les moyens ni l'envie de recommencer à étudier. Il a alors opté pour une solution toute autre. Dwayne s'est engagé dans l'armée, sans trop savoir dans quoi il s'embarquait ni s'il allait aimer ça. Mais il ne voyait pas vers où se diriger, et son père était fier de ce choix, alors il était décidé. Très vite, son idée se fit claire : il n'aimait pas ça, il adorait.
Il servit longtemps, et fut un bon soldat. Très bon même. Son pouvoir lui facilitait la tâche, et il excellait dans le domaine du combat. Foncer dans le tas, c'était ce qui lui allait le mieux. Il y avait sûrement en lui quelques pulsions animales qui devaient être satisfaites. Le tigre à dents de sabre, ce n'est pas n'importe quel prédateur. Sa transformation avait toujours été un peu crainte, mais il lui avait fallu longtemps avant de pouvoir entièrement se transformer. Avant l'âge de vingt cinq ans, il ne pouvait faire sortir que les griffes, les dents, parfois les deux, et, progressivement, sa métamorphose s'était améliorée. Seulement, et il l'aura toujours regretté, durant ses longues années de service, il ne se passa rien de particulier. Quand il y avait des tensions naissantes, on les envoyait sur le terrain, oui, mais il n'a jamais eu le droit à une guerre – qu'il aurait aimé ! Sa profession prit une place énorme dans sa vie, car après sa famille, c'était ce qui comptait le plus. Il garda un contact régulier avec ses frères, ses soeurs, et sa mère. Il n'a jamais eu d'enfants ni rencontré l'amour ; au mieux quelques aventures ou très courtes relations, et n'en éprouve pas vraiment de regrets. Ce n'était pas un but dans sa vie, puis en quelques sortes, il a toujours été père de ses sept cadets. Du moins, c'est à peu près comme ça qu'ils le voyaient.
La première mort qu'il dû affronter, ce fut celle d'Elder Maldwyyn, âgé de deux ans et demi. Oui, c'était jeune, et dévastateur pour lui. Pourtant, il ne l'avait pas vu souvent, car il était déjà parti de la maison lorsqu'il était né. Peu de temps après suivit Snezel, un peu plus vieux. Ce furent des heures très sombres pour cette petite famille aux liens très serrés. Il songea même à quitter son régiment pour retourner s'occuper de sa mère éffondrée et de ceux toujours à la maison, ce qui aurait été un sacrifice considérable. Mais ils refusèrent tous en bloc. Dwayne, qui avait toujours été heureux d'être né parmi ces gens, comprit alors qu'il était, plus encore, terriblement chanceux.

Il a alors mené une vie de routine, oscillant entre l'armée, quelques beuveries, les gens qu'il appréciait, et les tracas qui rythment la vie d'un homme. C'est à l'âge de 31 ans qu'il perdit son oeil. Au cours d'un entrainement, un coup de couteau parti de travers qu'il n'avait pas eu le réflexe d'esquiver. Eborgné de la sorte, cela manque des gloire, mais cela s'est passé aussi bêtement que ça. Sur le coup, il n'avait pas compris ce qu'il se passait. Puis il s'était évanoui. Les médecins n'ont pas réussi à sauver le globe blessé, et il ne restait plus que l'abblation. Le temps de sa convalescence, il fut écarté de son devoir de soldat.
C'est là qu'il se rendit compte qu'il ne pouvait pas vivre comme ça. Il n'était pas obligé de rester assis dans son lit, mais tout était calme. Pas de supérieur qui te hurle dessus, pas d'entraînement, pas de mission, rien que la vie quotidienne et les jours qui passent. Ce fut presque aussi pénible que la mort de ses frères. Arriva même un moment où il fit preuve de "comportement violent et d'agressivité". On dû le mettre sous calmant, car ses gestes lui échappaient et ses nerfs lâchaient. C'est durant cette période que leur père quitta le monde des vivants. Etrangement, il n'en éprouva pas vraiment de tristesse. Plutôt un sentiment d'inachevé, comme s'il avait manqué quelque chose. Il supposait que c'était le cas, après tout. Jamais ils n'avaient eu un moment ensemble. Encore une fois, il proposa son aide à la maison, encore une fois, il essauya un refus. Sa mère travaillerait, elle était encore jeune, et les enfants s'occuperaient les uns des autres. Mais il les soupçonnait, aussi blessante cette pensée fut-elle, de ne pas vouloir accueillir à la maison un être devenu violent et, en un certain sens, quelques peu perturbé. Fort heureusement, cette période passa, et il réintégra son corps d'armée, s'accommodant tant bien que mal à sa nouvelle condition de borgne.

Dwayne dût prendre sa retraite à l'âge de quarante huit ans. C'était déjà vieux, pour un militaire. Il retourna chez sa mère le temps de se prendre un appartement seul. Il ne restait plus, dans cette petite maison où il avait grandi, que trois personnes : Lizia, vingt et un ans, ainsi que Dyetty, dix-sept – elle était la dernière née - et leur génitrice. Plus personne n'était mort depuis leur père. À nouveau, ses crises de violence se déclarèrent. Pour éviter que ces personnes qu'il aimait tant ne prennent peur, il se dépêcha de quitter le foyer familial et prit, une nouvelle fois, son indépendance. Dans les quartiers de la ville où la vie était moyenne et terriblement ennuyeuse.
S'ensuivit une série de drame pour les Maldwyyn : l'aîné les quitta des causes d'une attaque, suivi de près par Lawl – une soirée qui avait mal tourné - et Esvira, emportée par une grave maladie. Outre le fait que tout le monde en fut très affecté, Esvira avait une fille. Une fille toute jeune, âgée de tout juste trois ans. Comme elle avait eut le temps de l'écrire, tout le monde fut très surpris à la lecture de son testament.

***

"Je souhaite qu'à Mr Dwayne Maldwyyn, oncle de l'enfant, soit confiée la tutelle de Merid Swanhood"


Il y eut un curieux silence. Dans la salle étaient présentes sept personnes : Madame Maldwyyn, Lucy, Dyetty, Lizia, Eiden, Maller,  ansi que Dwayne. Tous les regards avaient convergé vers ce dernier. La matronne fut la première à prendre la parole :

- Vous pouvez répéter, s'il vous plait ?

La notaire replaca les lunettes sur petit nez rond.

- Mademoiselle Esvira Maldwyyn, dans la mesure où il n'y pas de père présent pour s'en charger, a décidé de confier la tutelle de sa fille à monsieur, annonça-t-il en désignant Dwayne d'un geste de la tête, vous sentez-vous capable d'endosser cette responsabilité ?

L'ancien soldat hésita un peu. Il n'avait même pas songé qu'une pensée pareille aurait traversé la tête de sa soeur. Puis, après réflexion, ce n'était pas si aberrant. Qui s'était occupé d'elle la quasi-totalité de son enfance ? Ce grand gaillard aux cheveux grisonnants. Après quelques secondes, il s'exprima calmement :

- Je pense que oui.

Lucy, la plus vieille des filles, s'emporta.

- Je m'y oppose ! Dwayne, nous t'aimons tous, mais il est temps de te le dire : tu as montré que tu étais dangereux. On ne peut pas te confier un enfant, tout le monde s'accordera là-dess...

- C'est la dernière volonté d'Esvira, annonça la mère, les yeux fermés, comme si ça lui était douloureux.

Encore une fois, surprise générale. Mais vu le regard que la dame lança à ses enfants, ils comprirent chacun qu'elle se rangeait du côté de Lucy. Sa morale, cependant, l'empêchait d'aller contre le testament de sa fille. Elle regarda son fils.

- Dwayne, si tu veux qu'on te laisse tranquille, tu feras ce que je te dirai. Tu vas te soigner. Dès demain, tu iras prendre rendez-vous chez le psychiatre, et tu demanderas un traitement. Maller s'occupera de vérifier que tu l'as bien fait. Je te préviens que si c'est non, tu risques de t'en mordre les doigts : c'est pas parce que tu as fait l'armée que j'ai peur de toi. Compris ?

Il n'en doutait pas une seconde, et n'aurait jamais osé aller contre l'avis de sa mère, même en approchant la cinquantaine. D'autre part, elle n'avait pas tort. Il ne voulait pas être un danger pour cette petite fille que sa chère soeur lui confiait. Le notaire proposa de faire intervenir la justice pour s'assurer que ce serait fait. Madame Maldwyyn répondit que la justice ferait mieux de se mêler de ses affaires, ce qui arracha un sourire à sa petite tribu. Elle les fit taire d'un geste de la main, et l'entretien reprit.
Il eut, en sortant du cabinet, comme la sensation étrange que sa vie avait de nouveau un sens.

***
Dwayne, comme promis, alla prendre rendez-vous et trouva le moyen d'être placé sous traitement pour rester stable. Deux semaines plus tard, quand les derniers détails judiciaires furent réglés, Merid arriva chez lui. Peut-être n'aurait-il pas supporté la vie normale sans elle. Au début, c'était étrange, mais dès qu'ils furent tous deux habitués à la situation, ils devinrent vite très proches. Il insista toujours pour qu'elle l'appelle "oncle" et pas "père", car cela lui semblait trop étrange. Il ne fit pas un faux-pas – il n'avait pas intérêt, toute la famille l'avait à l'oeil – et s'occupa d'elle durant de longues années, qui, malgré l'humiliation de la prise de médicaments, furent tout à fait merveilleuses. Peut-être même que la présence seule de la petite fille aurait suffit à le soulager de ses pulsions. Cela dit, il ne préférait pas essayer. Si tout allait bien comme ça, tant mieux, il ne voulait rien y changer.
Lors du Bug, sa mère et Maller disparurent. Encore un fois, ce fut terrible, mais ils restèrent soudés et surmontèrent ainsi cette nouvelle épreuve.
Lorsqu'elle atteint les seize ans, Merid insista pour intégrer le lycée Xényla. Evidemment, il ne put lui résister, et si douloureux que ce fut, il l'y inscrit. S'ensuivit une année difficile. Il arrêta le traitement, puisque sa nièce n'était plus là, et succomba de nouveau à ses vieux démons. Maintenant, ce n'était plus seulement l'armée qui lui manquait, mais aussi l'enfant qu'il avait adopté. Il s'ennuyait, il s'ennuyait terriblement. Le psychiatre, chez qui il ne retourna jamais après ce jour-là, lui conseilla de se trouver un nouveau travail pour s'occuper, s'il ne supportait pas l'inactivité. Xényla cherchait un gardien ; la suite semblait si claire et évidente. Il demanda, bien sûr, l'autorisation à Mérid, et rencontra moins de résistance qu'il ne l'aurait pensé.
Ainsi, à l'âge de soixante et un ans, Dwayne prit très vite ses nouvelles fonctions, et cela fait déjà six mois qu'il fait règner sa loi sur les élèves du lycée – sans être plus tendre avec sa chère nièce, bien entendu. Cela ne fait point disparaître ses besoins de violence, mais comble au moins son ennui en lui permettant de surveiller Merid, et cela lui suffit.