Nils ▲Je ne trouve pas de titre badass, alors à la place, je vais mettre un smiley. >< Voilà.

” Je suis rentrée. ”

Il relève un instant la tête de son ouvrage, observant d’un oeil curieux la silhouette de sa mère s’agiter dans l’encadrement de la porte. Elle s’ébroue rapidement pour laisser quelques gouttes d’eau s’échouer sur le plancher. Comme si c’était elle qui allait nettoyer ce bazar… Mais non. Si Natasha se révèle être une mère exemplaire - quoiqu’un peu envahissante -, elle n’en reste pas moins une très jeune femme, aimante, certes, mais bordélique au possible. Heureusement pour elle, son fils ne lui ressemble pas sur ce point. Elle ose à peine imaginer le chantier qui devrait régner ici, sinon. Nils glisse discrètement son oeuvre derrière l’accoudoir du canapé, essayant tant bien que mal de garder une certaine contenance devant le regard éberlué de sa mère. Grillé.

” Oh ! Je ne vois rien, je ne vois rien ! “

Ses mains fines viennent cacher ses yeux de manière théâtrale. Loin d'elle l'envie de rompre l'envie de gâcher la surprise de son fils pour son anniversaire, même si elle s'en doutait fortement. La broderie a toujours été au coeur de son éducation. Au départ, sa jeune mère se servait de cela comme d'une punition. " Nils, si tu fais la moindre bêtise, tu devras me broder une nouvelle nappe ! ". En un sens, c'était bien la seule chose qu'elle maîtrisait à l'époque, la seule chose qu'elle pouvait transmettre à son fils. Et puis, avec le temps, cela a fini par devenir une habitude, une envie, un plaisir. Il y en avait peu, durant la jeunesse de son fils. Trop timide pour être sociable, trop solitaire pour se faire des amis, Nils passait le plus clair de son temps dans les pattes de sa mère, au magasin de couture où elle travaillait. Où elle travaille toujours, d'ailleurs. C'était assez amusant de le voir gesticuler autour des fils et des machines. L'oeil vif, la tête pleine de questions et la curiosité peignant son visage d'enfant.

Ils ont toujours été très proches, tous les deux. Mettez cela sur le compte de leurs quinze années de différence, ou sur le fait que Natasha s'est retrouvée seule pour l'élever. Jeune orpheline, elle se souvient encore de l'époque où le père du jeune garçon l'avait maladroitement plaqué, dès l'annonce de sa grossesse. Mais après tout... La seule excuse qu'elle a un jour sorti à son fils sur l'accident de sa conception, c'était que le père de Nils était "mignon", qu'elle était ivre, et qu'il fallait bien fêter son quinzième anniversaire. Mère irresponsable. Au moins a-t-elle pris son rôle au sérieux, couvant son fils comme une poule couve son poussin. Sans doute un peu trop par moments. Elle le poussa involontairement à n'agir qu'à travers ses yeux, ses pensées, sa volonté. Si Natasha était honnête avec elle-même, elle réaliserait bien vite que le caractère réservé de son fils lui est entièrement imputable. Trop présente pour lui laisser l'occasion d'exister. Mais l'on ferme facilement les yeux lorsqu'on se sait responsable. Au moins a-t-elle décidé de le laisser vivre plus sainement depuis son entrée à Xenyla. Après tout, il aurait été dommage de gâcher la volonté de son fils à sortir de son petit confort. Pour une fois qu'il souhaite intégrer une vie scolaire, aussi étrange et violente soit-elle... Pour être tout à fait honnête, Natasha n'en revient toujours pas. Une demande étonnante, pour quelqu'un d'aussi solitaire, mais elle n'a pu que concéder une chose. Nils doit s'endurcir, pour son bien et pour sa vie future. Rester à jamais dans les pieds de sa mère ne lui créera pas un avenir solide. Et puis, si se battre pour lui-même, plutôt que pour elle, l'aide à aller vers les autres, elle ne peut qu'accepter. Sans doute est-ce aussi pour cela que son fils a rejoint les Libertés, un nom qui reflète un sentiment trop longtemps étouffé. Une envie de vivre, ailleurs, libre, épuisé par des entraînements interminables et des combats sauvages. Peut-être est-ce son instinct qui a parlé, la veuve-noire est combative, Natasha le sait très bien.

" J'ai presque fini, concède Nils d'une voix discrète, n'attirant chez sa mère qu'un sourire ravi.
- Je vais patienter dans la cuisine, alors ! "

Pour un peu, il ne s’étonnerait même pas de la voir sautiller dans tous les coins de leur appartement. Oui. Même si Nils est conscient de l’ingérence de sa mère dans sa vie, il ne lui en a jamais voulu. Il l’a vu rentrer à des heures incroyables pour pouvoir vivre décemment. Il l’a vu se retenir de pleurer de nombreuses fois, n’attendant qu’un peu d’intimité pour fendre le masque. Elle lui a tout donné, sa jeunesse, sa fierté, son amour. Une vie douce et solitaire, engoncée dans ce même petit appartement depuis sa plus tendre enfance. S’il devait résumer sa vie jusqu’à présent, elle se résumerait à ça, à ce petit salon, à cette aiguille qui file le tissu, et à ce silence apaisant qui l’entoure. Il n’y aurait rien d'autre à raconter. Lentement, il se relève pour rejoindre Natasha dans la cuisine. Tiens. Elle sautille. Il aurait dû le parier. Parfois, c’est à se demander qui est l’enfant entre les deux. Son regard croise celui de sa mère, alors qu’il lui tend son dernier ouvrage. Un petit mouchoir en soie, gravé de l’emblème de sa mère, son totem, sa partie animale d’hybride. Une mygale.

” Bon anniversaire. “