« Don't touch me and stay away from me... » Raphaëlle Willow

Je suis née un matin de février. Quelques minutes après ma naissance je n'avais déjà plus qu'un seul parent. Mon père m'a raconté que ma mère a toujours eu une faible constitution, que sa grossesse avait été compliquée et qu'elle n'a tout simplement pas supporté l'accouchement. Il me disait que, même avant de me concevoir ils étaient conscients de ces risques et ça ne l'a pas empêché de se mettre en danger pour que je vienne au monde.

« Franchement quelle belle connerie ! »

Personne ne m'a demandé mon avis à moi. Est-ce que je veux vraiment vivre dans ce monde pourri et corrompu ? Bien sûr que non ! La seule chose qui me pousse à rester vivante malgré tout c'est le sacrifice de ma mère. Et mon père aussi. Déjà qu'il a perdu la femme de sa vie, difficile d'imaginer qu'il puisse supporter de perdre la deuxième.

J'ai quand même eu une enfance heureuse. On vit bien mieux dans l'ignorance du mal qui nous entoure. Mon père m'a toujours traité comme sa petite princesse. Il est bien plus que mon père, il est mon meilleur ami, mon seul ami, le seul à qui je peux faire confiance dans ce monde de brutes.

Bien sûr je me suis toujours demandé ce qu'il se serait passé si ma mère était toujours en vie. Qu'est-ce que ça ferait d'avoir deux parents. Une présence féminine dans ma vie m'aurait peut-être empêché d'être aussi garçon manqué. Mais tout ça n'est pas si important. Après tout ce qu'à fait mon père pour moi je n'ai pas le droit de me plaindre.

On se ressemble beaucoup lui et moi, que ce soit physiquement ou mentalement. Lui aussi la vie ne l'a pas épargné, nous avons les mêmes points de vue sur tout, excepté un, il n'abandonne jamais. Peu importe combien de fois il tombe il continue de se battre, pour les moments heureux qu'il a vécu et qu'il vivra, si peu soient-ils.

À cette époque j'étais heureuse, enjouée, je riais et souriais tout le temps. J'avais de belles joues rosées et un visage reposé, aucun cerne sous mes grands yeux pétillants.

Puis mon pouvoir c'est déclenché. Je venais d'avoir dix ans quand ça c'est produit. Je m'en souviens comme si c'était hier. De nouveaux voisins venaient d'emménager à côté de chez nous. Mon père m'a dit que l'on devait aller les saluer pour faire preuve de politesse.

L'homme que je voyais sortir les derniers cartons de la camionnette, n'avait rien de méchant à première vue. Il nous a salué et souri en épongeant son front suant, dû aux fortes températures d'été et à l'effort de son déménagement.

Puis il s'est penché vers moi et m'a gentiment pincé la joue en ajoutant quelque chose du genre :

« Votre fille est à croquer ! »

Mon père a ri d'un rire franc avant de discuter gaiement avec lui, mais ça je ne m'en souviens pas, leurs voix étaient floues, je n'étais déjà plus là...

Je ne comprenais pas ce qu'il se passait sous mes yeux. La scène était floue, j'avais l'impression de la percevoir à travers le regard de quelqu'un d'autre. Une femme était étendue au sol, ses vêtements étaient débraillés et elle tentait de se redresser sur ses coudes, fébrilement. Son corps était couvert de bleus et un filet de sang s'écoulait de sa narine gauche. Ses yeux étaient rouges et gonflés, on avait l'impression qu'elle pleurait depuis plusieurs heures déjà.

La personne à travers laquelle je voyais la scène jeta son verre contenant encore un fond d'alcool fort, au sol, à quelques centimètres de la femme. Provoquant alors d'elle un couinement lorsqu'il se brisa. Couinement qui ne fit que l'agacer davantage. Il commença alors à lui envoyer des coups de pieds dans le ventre avec une violence inouïe.

Elle cria, pleura, tenta de se débattre et de fuir ses coups, mais elle était bien trop faible et amochée pour faire le moindre mouvement.

Puis soudain la scène se stoppa. Il me fallut un certain temps avant de reprendre conscience.

« Je vous présente ma femme, chérie voici nos nouveaux voisins. »

La femme que je venais de voir se faire rouer de coups, se tenait juste devant moi, un visage radieux et souriant. J'étais totalement perdue je ne comprenais pas ce qu'il m'était arrivé, mes yeux restèrent écarquillés, perdus dans le vide et des larmes commencèrent à couler sur mes joues.

Soudain d'horribles douleurs me viennent dans le ventre, comme si j'avais reçu plusieurs coups. Mon père se pencha sur moi paniqué. Il me demanda si ça allait, ce qui était en train de m'arriver, mais j'étais incapable de répondre.

Il s'excusa auprès de nos nouveaux voisins et me ramena à la maison.

Après cet événement j'ai souvent été confrontée à des nouvelles visions, de nombreuses sur mes voisins, il m'arrivait de rêver qu'il la frappe au visage et le lendemain je la voyais arroser son jardin un coquart à l'œil.

« C'est bête ! J'ai glissé dans les escaliers et je me suis cognée contre la rampe ! »

Moi je connaissais la vérité.

Avec le temps j'ai fini par comprendre que mon pouvoir me faisait voir le passé ou le futur de quelqu'un, quand je rentrais en contact avec lui. Je savais ce qui lui arrivait, je faisais plus que le savoir je le vivais presque chaque nuit, dans mon sommeil. Je finissais par avoir peur de dormir et par faire de longues nuits d'insomnie devant mon écran d'ordinateur.

Et malgré tout ça je n'ai jamais rien dit. Ni à mon père, ni à cette pauvre femme. J'ai bien évidemment parlé de mon pouvoir à mon père, mais jamais de ce que je voyais. Je le gardais pour moi, j'ai été lâche, j'avais peur de cet homme.

Je m'en souviens encore, un soir j'ai fini par m'écrouler de fatigue devant mon ordinateur. Le rêve que j'ai fait alors me semblait être comme les autres.

Puis soudain il attrapa une bouteille de vin et lui fracassa sur le crâne, elle se cogna la tête avec violence sur le bar de la cuisine avant de tomber en arrière. Elle ne bougeait plus. Du sang s'écoulait sur le carrelage.

Je me suis réveillée en hurlant et en me serrant la gorge, j'avais l'impression de suffoquer. Mon père s'était précipité dans ma chambre pour me prendre dans ses bras et me rassurer.

« C'était juste un cauchemar, c'est fini maintenant. Allez, calme toi... »

J'aurais préféré que ça soit le cas.

Quelques semaines plus tard, je vis à travers mes volets croisés, une ambulance s'arrêter devant la maison de mes voisins. Je ne dormais presque plus, je manquais les cours et je passais mes journées enfermés dans ma chambre. Ce que j'avais vu venait de se produire.

La femme était inanimée sur le brancard qui sortait de la maison. Je pus vaguement apercevoir son visage pâle et ensanglanté, avant que l'ambulancier ne le couvre totalement avec la couverture blanche.

Peu de temps après des policiers sont venus embarquer l'homme, il ne s'est pas débattu. Il s'est contenté de se laisser menotter et de les suivre tête baissée.

Je savais que tout cela allait se produire. Je savais que ça allait arriver et je n'ai rien fait. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je suis juste lâche. Je me suis contentée de contempler la scène, en sachant pertinemment comment cette histoire allait finir.

Depuis je vis dans la culpabilité, me sentant coupable du sort de cette pauvre femme. Je n'allais presque plus au collège, je ne parlais à plus personne et je passais mes journées seule, devant mon écran d'ordinateur ou ma console de jeu.

Mon père s'inquiétait beaucoup pour moi. Au final la situation a fini par l'agacer.

« Tu es intelligente Raphaëlle ! Je ne peux pas te regarder gâcher ton avenir devant cette fichue console ! »

Il a donc décidé de m'inscrire à Xényla pour mon entrée au lycée. Il disait que dans cet établissement, je serais dans la classe Processus, qu'elle est plus ou moins adaptée aux élèves surdoués, qu'elle me permettra de mettre à profit mon intelligence et de me perfectionner. Il disait aussi que le fait d'être en internat, m'imposera des règles à respecter et m'aidera à me sociabiliser. Je ne peux pas lui en vouloir il veut ce qu'il y a de mieux pour moi.

Vous connaissez désormais la raison qui m'a poussé dans cet établissement si particulier.