Outai Owen outai [ft. Iezawa]

Cela pouvait être étrange parfois, les impressions de déjà-vu.
Particulièrement lorsqu'on pouvait avoir une mémoire aussi peu fiable que celle d'un certain hybride aux dents acérés et à l'allure de monstre de foire.

Devant la porte de son bar favori, Mikhaïl avait l'impression de curieusement revivre la scène de sa première découverte de celui-ci. Le grand requin se tenait là, immobile et légèrement nerveux, hésitant ou non à se rendre à l'intérieur. Les yeux fixés sur les personnes qui se dessinaient derrière la vitre de la devanture du bar, il cherchait du regard une personne en particulier, que ses yeux toutefois ne semblaient pas trouver.
Entre ses doigt pendait un sachet en plastique rose pâle, remplit d'un cadeau particulier.

Depuis les récents évènements qui avaient pu s'enchaîner dans sa vie, cela faisait maintenant plusieurs mois que l'hybride n'avait pas posé un pied au Phoenix, son bar favori dans lequel travaillait l'un de ses amis, Owen Anderson. La surprise du grand homme avait donc été grande lorsqu'il avait appris de l'un des serveurs, quelques jours auparavant, que son ami barman était mal en point depuis quelques jours – voire semaines.
C'est pourquoi aujourd'hui, Mikhaïl avait décidé de rattraper sa disparition récente en rendant visite à celui-ci, les bras chargés d'un simple cadeau de bon rétablissement. Et que son visage se faisait bien triste, de voir que son ami ne semblait toujours pas travailler ce soir-là.

Décidant toutefois de ne pas se laisser abattre par son absence, l'hybride se résolut à faire son entrée dans le bar, tâchant d'éviter au mieux les regards qui pouvaient se tourner sur son passage. Il n'avait toujours réglé son problème d'impulsions colériques qui l'assaillait depuis maintenant des mois, aussi le jeune homme ne voulait pas risquer d'en provoquer en présence d'autant d'inconnus innocents.
Marchant directement jusqu'au bar, il ne prit pas même la peine de saluer les quelques habitués qui lui souhaitèrent le bienvenue, se contentant de leur adresser une réponse succincte, ne s'arrêtant que lorsqu'il arriva au niveau du bar. À celui-ci, l'un des serveurs ne semblait occupé qu'à essuyer des verres, ce dont Mikhaïl profita pour s'adresser à lui, toquant timidement contre le bois du bar, les yeux rivés sur le torse du jeune homme pour éviter à le regarder directement.

- Bonjour, excusez-moi ?

Le requin se racla légèrement la gorge avant de poser son sachet sur la chaise de bar à sa gauche et reprit, le ton poliment inquiet.

- Dites... Owen n'est toujours pas là ?

Mikhaïl se doutait bien de la réponse qu'il allait entendre, mais une part de lui espérait toutefois que le serveur ne lui en donne une autre. Peut-être son ami barman était-il simplement en train de chercher des bouteilles dans ses réserves, plutôt que cloué au lit chez lui, terrassé par une maladie inconnue inquiétante.
L'hybride n'avait pas envie que tous ses efforts pour venir jusqu'ici aient été totalement vains.

Mes yeux commencent doucement à se fermer à la vue du nombre de clients encore présents et la fatigue qui commence à peser sur mes épaules. J’ai l’impression d’être le fils d’Atlas, je ne porte pas la voûte céleste, mais l’Unique sait que la fatigue est très lourde à porter. C’est un poids mort, sérieusement. Quoique j’ai moyennement envie d’être mis au même rang que toutes ces légendes, me faire aduler par des millions d’humains, et me faire critiquer et juger par des milliards de personnes incapables de formuler une phrase correcte, non merci. Finit de faire mon éloge, je suis actuellement aux antipodes d’une soirée calme où je peux me permettre de flâner. Owen n’est déjà pas en état de nous aider, alors si je m’arrête de travailler aussi, on ne réussira jamais à faire tourner la boutique comme il faut.

Heureusement, dans moins d’une heure, je vais enfin pouvoir rentrer chez moi, je passe tellement de temps en dehors de mon propre appartement que j’ai l’impression d’être infidèle à mon plumard. Depuis quelques semaines je comprends enfin l’expression métro boulot dodo, enfin, plus qu’une expression c’est surtout un mode de vie. Que j’aimerais bien changer au plus vite d’ailleurs, parce que les cernes ne cessent de s’accumuler sous mes yeux, mes paupières menacent à tout moment de se refermer et mon corps ne demande qu’à s’écrouler sur le carrelage pour profiter d’une petite sieste. Malheureusement pour moi, je n’ai ni le temps de, ni l’envie de me retrouver endormi dans un bar juste derrière plus d’une trentaine de bouteilles qui pour certaines valent bien 2 semaines de travail.

« Bonjour, excusez-moi ? » La main toujours agrippée au torchon pour essuyer le verre, je lève les yeux pour voir le client. Sa couleur de cheveux m’interpelle, je l’ai déjà vu ici, il me semble. Il venait souvent discuter avec Owen, il me semble. « Dites… Owen n’est toujours pas là ? » Bingo, il est là pour Owen. Je pose le verre essuyé sur le plan de travail du bar avec le torchon et regarde le jeune homme. Même s’il m’a l’air un brin excentrique je ne suis pas le mieux placé pour en parler. « Non, il est toujours malade comme un chien, on espère que ça va bientôt se calmer. » Je soupire, c’est vraiment triste qu’une maladie arrive à le mettre dans un état pareil, je ne serais sûrement pas mieux à sa place, mais les symptômes sont littéralement en train de l’achever. « Tu veux que je lui transmette un mot, ou que je te serve quelque chose, mis à part ça ? »

Le serveur se mit à bouger devant Mikhaïl déposant un verre maintenant parfaitement essuyé sur le plan de travail devant lui, avant de répondre à la question de celui-ci.

- Non, il est toujours malade comme un chien, on espère que ça va bientôt se calmer.

Le visage traversé d'une moue à la fois inquiète et déçue, l'hybride n'accueillit pas cette nouvelle avec la plus grande des joies. Son ami n'était donc toujours pas remis de ses problèmes de santé récent, c'était véritablement effroyable. Lui qui avait mis tant d'espoir en cette petite visite impromptue à son bar, voilà qu'on lui annonçait malheureusement qu'une fois de plus, son déplacement avait été vain.
Suivant la même impulsion que le jeune homme face à lui, Mikhaïl laissa échapper un long soupir, quittant le col du t-shirt du serveur des yeux pour reporter son attention sur le sachet qu'il avait déposé à côté de lui : qu'allait-il bien pouvoir faire  de cela maintenant ?

- Tu veux que je lui transmette un mot, ou que je te serve quelque chose, mis à part ça ?

La douceur de cette voix grave parvint à sortir le requin de ses pensées, le ramenant à l'instant présent. Maintenant qu'il y pensait, ce jeune homme lui avait toujours paru particulièrement aimable et tranquille, et ce à chaque fois que Mikhaïl avait pu se rendre au bar. Peut-être serait-il en mesure de faire parvenir à Owen le cadeau qu'il tenait tant à lui donner ?
La question valait la peine d'être posée, pour le bien-être de son ami souffrant.

- Je passais juste pour lui donner un petit remontant, à vrai dire. Je ne peux pas rester ici mais...

Il prit délicatement le sachet sur sa gauche et le déposa devant lui, sur le comptoir, avant de reprendre.

- Est-ce que vous pourriez lui donner ça de ma part ? De Mikhaïl. Enfin... Misha.

Il agrémenta cette demande d'un timide sourire, évitant toujours le regard du serveur. Inquiet, ses mains lissaient nerveusement le sachet devant lui en soulignant les reliefs des diverses boîtes de chocolats et de petits gâteaux qu'il contenait.
Qu'allait-il faire si le serveur refusait ?

Le jeune homme à l’allure excentrique m’a l’air déçu de ma nouvelle, cependant j’ai l’impression qu’il se doutait déjà de la réponse, sinon, il ne serait sûrement pas venu me voir. Il aurait simplement pu attendre en espérant croiser l’hybride, seulement Owen est dans un état pas possible, et même moi j’ai du mal à le voir. En fait, pour être exact, on dirait un mélange entre un clown zombie, et mamie gâteau qui regarde Bridget Jones avec une petite boîte de cookies et un pot de glace au chocolat. Bon, d’accord je charrie un peu, mais je préfère largement en rire qu’en pleurer.

Les yeux jaunes du jeune homme fixe son sachet à ses côtés, pendant que je lui propose de remettre un mot à mon patron, ou de lui servir à boire. Il a un peu l’air à l’Ouest, mais il n’a pas l’air méchant, après tout, il est venu prendre des nouvelles d’un ami, pourquoi serait-il méchant ? La plupart des personnes que je connais ne se déplaceraient même pas deux cents mètres plus loin pour aider quelqu’un qui vient de se blesser dans la rue, ils continueraient leur chemin comme si de rien était, contournerait le blessé et m’encouragerait même à faire pareil. Non, le jeune homme en face de moi ne peut pas être une mauvaise personne, tout au contraire.

« Je passais juste pour lui donner un petit remontant, à vrai dire. Je ne peux pas rester ici mais... » Le paquet qui se trouvait à côté de lui vint se placer entre nous, j’aurais presque du mal à le voir s’il n’avait pas des cheveux aussi colorés. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, il ne portait pas un haut de forme, quand il venait avant ? « Est-ce que vous pourriez lui donner ça de ma part ? De Mikhaïl. Enfin... Misha. » Le petit sourire qu’il me fait en me demande ça ne peut laisser espérer qu’une réponse positive de ma part, bien entendu. J’hoche la tête. « Oui, oui, ne vous en faites pas, je lui transmettrais. Par contre, je risque peut-être de poser une question idiote. Vous ne portiez pas un haut de forme avant ? » Espérons ne pas le brusquer, je croise les doigts.

Devoir attendre la réponse de quelqu'un d'autre à une question qui le taraudait autant était particulièrement difficile pour Mikhaïl, ce qui pouvait expliquer pourquoi à l'heure actuelle, l'hybride peinait à cacher sa nervosité. Ses mains ne cessaient de bouger, de jouer avec son sachet, et ses yeux fixés sur la surfasse lisse du comptoir ne cillaient pratiquement jamais, reflétant la lumière du bar.

- Oui, oui, ne vous en faites pas, je lui transmettrai. Par contre, je risque peut-être de poser une question idiote. Vous ne portiez pas un haut de forme avant ?

Levant légèrement la tête à l'entente de ses mots, le requin sentit un faible sourire s'étirer sur ses lèvres. Ce jeune homme allait bel et bien pouvoir transmettre son cadeau à son ami, c'était un véritable soulagement. Il était persuadé que les quelques chocolats et sucreries que ce sachet renfermait seraient d'une aide précieuse pour le bon rétablissement de son ami : peut-être n'était-il pas médecin, mais il savait que ce genre de gentillesses ne pouvaient qu'être bénéfiques pour une personne malade.
Ou du moins c'est ce qu'il imaginait, puisque lui-même n'avait jamais réellement eu l'occasion de se faire offrir un paquet de ce genre lors de ses propres moments de faiblesse ou de maladie.
C'était réellement difficile parfois, de savoir quoi faire pour aider les autres.

L'espace d'une courte seconde, Mikhaïl leva assez les yeux pour planter son regard dans celui du serveur, avant de s'adresser à lui avec calme. S'il était reconnaissant, il imaginait que ce serveur le comprendrai mieux s'il ne passait pas son temps à l'éviter du regard.

- Merci beaucoup, c'est gentil. Dites-lui que j'essayerai de repasser bientôt.

Baissant à nouveau les yeux, il tapota son sachet, perdant doucement le sourire aux coins de ses lèvres. Il porta ensuite une main au sommet de sa tête, réfléchissant à la question que le jeune homme face à lui venait de lui poser, mal à l'aise.
Portait-il vraiment son haut-de-forme si souvent que cela auparavant, pour que cette personne lui pose la question ? Était-ce réellement si important que cela, pour qu'une personne dont il ne se rappelait pas le moins du monde remarque son absence ?
Probablement que oui, mais il avait du mal à saisir le pourquoi du comment.
Étrange.

Passant sa main dans ses cheveux, Mikhaïl soupira doucement, avant de répondre évasivement à cette question si singulière.

- Et... oui. Haut-de-forme. J'en portais, oui.

Il n'avait pas réellement plus d'explications à donner à ce jeune homme, aussi celui-ci devrait se contenter de cela.

Après un nouveau soupir, l'hybride repoussa légèrement son sachet sur le comptoir, pour l'offrir au collègue de son ami. Il n'avait plus envie de rester ici plus longtemps : par peur de devoir parler plus longtemps, mais également par besoin de vite retourner chez lui. Il ne savait trop pourquoi, mais il ressentait maintenant un cruel besoin de retourner auprès de Ragnar, et de peut-être se préparer un chocolat chaud réconfortant.
Un léger hochement de tête plus tard, il s'adressa donc une dernière fois au serveur, la voix toujours aussi douce.

- Bonne fin de soirée.

En quelques foulées, Mikhaïl arriva bientôt sur le pas de la porte pour abaisser la poignée de celle-ci, le regard fixé dans le vide.
Il était bien temps de rentrer chez lui, à présent.

Son regard s’ancre dans le mien, et je peux voir son sourire, il a l’air heureux que je puisse donner son paquet à Owen, est-ce que c’est vraiment si étonnant que ça ? Je veux dire, les gens ne sont tout de même pas assez salauds pour lui refuser un si petit acte. Je veux dire, il a été très poli, courtois et puis, il a l’air gentil, je ne vois pas pourquoi on pourrait lui refuser quoi que ce soit. En fait, c’est comme un petit chiot, il est tellement mignon qu’on lui donnerait l’Unique sans confession même s’il pissait sur la table de la salle à manger. Limite, je me dis que toute sa vie, il a dû avoir de malheureuses aventures avec les personnes exécrable de cette île. Ceux qui préfèrent frapper sur les innocents plutôt que d’aller venger la veuve et l’orphelin. Une vraie bande de bras cassés en somme. Je ne dis pas que je le fais, mais je ne pense pas mettre plus de bordel dans ce monde qu’il n’y en a déjà.

« Merci beaucoup, c'est gentil. Dites-lui que j'essayerai de repasser bientôt. » Ses yeux quittent les miens, il tapote son sachet, il a l’air un peu perturbé maintenant, son autre main vient se mettre au sommet de son crâne. Je suppose que ma question ne l’a pas enchanté du tout, il soupire à nouveau. « Et... oui. Haut-de-forme. J'en portais, oui. » Troisième soupire. « Bonne fin de soirée. » Et le voilà partit. Je me gratte le semblant de barbe de trois jours qui commence à me gêner en le regardant s’éloigner. J’ai foiré mon coup, pour ne pas changer. Et il serait vraiment temps que je me rase, c’est mauvais pour la clientèle. J’attrape le sachet, le pose sur le plan de travail, je donnerais le paquet à Owen demain. A l’heure qu’il est, il doit sûrement être au bord de l’agonie, ou en train de rattraper les heures de sommeil en retard qu’il accumule. Et Misha donc, m’a bien demandé de lui transmettre un message. Je ne peux pas me permettre de le réveiller ou de lui laisser le paquet comme si de rien était sur le pas de la porte sans un mot. En attendant, le boulot sera bientôt terminé, et je pourrais bientôt retrouver mon lit, mon imbécile de poisson rouge, et mes livres. Bonne nuit les enfants.