De l’autre côté de la porte, je pouvais très bien entendre les voix des autres lycéens de Xényla. Pendant que mon professeur titulaire parlait avec la direction, je pris conscience que c’était, pour moi, la première fois que je mis les pieds dans un vrai établissement scolaire. Ma mère n’avait pas les moyens de m’y envoyer, car mon père dépensait le peu de revenus que nous avions sur l’alcool. Ensuite, chez M. Aldaya, qui avait été si généreux de nous laisser habiter chez lui, ma mère n’osait pas lui demander une telle faveur. Elliot m’apprenait ce qu’il avait acquis durant ses cours particuliers. Puis à la suite de son départ, je n’eux pas d’enseignements concrets, jusqu’à aujourd’hui. Repensez à tout cela me rendit quelque peu mélancolique. Mon professeur s’approcha vers l’arrière, puis déposa sa main sur mon épaule. Il me demanda si tout allait bien. Je repris mes esprits tranquillement. Le professeur me fit signe qu’il était temps. Il entra dans la classe et je fis de même.
- Bonjour à tous, je vous présente un nouvel élève au lycée Xényla. Je sais que son arrivée au beau milieu de l’année est soudain, mais cela est relié à des circonstances familiales. Il sera dorénavant dans notre classe, alors j’espère que vous allez bien vous entendre, dit-il d’une voix très formelle.
De l’avant, tous les regards étaient rivés sur moi. Cela me rendit inconfortable. Le professeur se retourna vers moi et me fit signe de me présenter, ce que je fis immédiatement.
- Bonjour, je m’appelle Leigh Alexander Clayton, mais je préfère qu’on m’adresse en tant que Leigh. J’espère que le restant de l’année puisse être agréable, dis-je d’une voix presque qu’inaudible, maladroitement et les yeux en direction du sol.
Après avoir parlé, les murmures se propagèrent dans toute la classe. Certains propos par rapport à mon habit. Évidemment, je n’avais pas encore reçu mon uniforme. Nous venions tout juste de m’inscrire au lycée. Je portais alors un habit chic d’un noir violacé fait sur mesure avec une boucle violette sur laquelle reposait une améthyste, cadeau de ma mère et de M. Aldaya, qui me faisait sans aucun doute ressortir du lot. Ensuite, il était sujet de ma coiffure ébène un peu ébouriffé qui faisait contraste avec mon radieux habit. Mes cheveux semi-longs étaient aussi sujets de plusieurs conversations, la plupart des garçons avait des cheveux relativement courts comparés aux miens. Puis, un commentaire parvient à mes oreilles. J’entendis, au loin, quelqu’un affirmer que mes yeux étaient de vraies perles. Des yeux envoutants, charmants. Je me souvins alors de ce qu’Elliot avait dit à propos de mes yeux. Un bon souvenir, mais tout de même douloureux. Le professeur demanda de cesser le bavardage et ajouta :
- Merci Leigh, tu peux aller t’asseoir au pupitre libre au fond de la classe. Juste à côté de la fenêtre, dit-il en pointant le siège libre.
Jusqu’à-ce que j'arrive à ma place, j’entendis toutes sortes de commentaires. Un regroupement de fille exprima que j’avais une aura lugubre, sinistre et froide. Elle ajouta que je n’étais pas très souriant. Peut-être avait-elle raison… Je ne me rappelais plus la dernière fois que j’avais souri. Aussi, je n’avais jamais fréquenté d’autres personnes qu’Elliot, M. Aldaya et ma mère. Je pris place, puis la leçon débuta. Je ne portais pas très attention à ce que le professeur disait. J’observais la grille à l’entrée du lycée et tomba dans mes pensées. Depuis sa mort, j’ai commencé à rêvasser plus souvent lorsque je ne devrais pas. Je repensais à lui, à moi et ce qui avait bien pus se passer à son collège. Puis, je m’aperçus que l’intégration serait pour moi un défi. Mais je me dis que je le faisais pour lui, plus que pour moi et que je devais tenir le coup.
I could hear voices in my head,
I could see dancing flecks of golden light.
The weird one had to be me.
~
Du plus loin que je me souviens, ces lumières dorées ont toujours fait partie de ma vie… Elles ont toujours été là, même lorsque j’avais les yeux clos, elles me suivaient, me hantaient. Puis, au fil des ans, les lumières dorées prenaient lentement des formes, des silhouettes. À ce moment, elles ont commencé à murmurer en cœur jusqu’à ce que ce soit insupportable. Ces voix m’étourdissaient, me faisaient chanceler. Jusqu’au jour ma mère m’offrit une paire de lunettes. Ce jour, lorsque je les enfilai, les lumières dorées se dissipèrent et les murmures se turent.
~
Cette nuit, je m’en souviendrai toujours. C’était une belle soirée d’été. Il faisait chaud, mais la fine brise de vent rafraîchissait les étroites ruelles éclairées faiblement par les réverbères. Le ciel était d’un bleu si envoutant, si éclairé par le magnifique drap étoilé qui le recouvrait.
Ce soir-là restera à jamais graver dans ma mémoire. Des plus grands événements aux plus insignifiants. Ma mère me prit la main soudainement. Elle me la serrait très fort, puis, se mit à courir si vite que j’avais peine à la suivre. Mes petites jambes d’enfant de six ans ne me permettaient pas de suivre celles de ma mère, en détresse. Encore tout innocent, l’ampleur de la situation surpassait grandement mon entendement, mais malgré cela, j’avais tout de même choisi de lui faire confiance. Je regardais de temps en temps que derrière moi pour jeter un dernier coup d’œil vers notre petite maison qui s’éloignait de plus en plus.
Ce ne fut que des années plus tard que je compris ce qui s’était réellement passé. En fait, l’homme qui avait marié ma mère était alcoolique et violent. Jamais il n’a touché à seul de mes cheveux, mais ma mère, elle, subissait son châtiment quotidiennement sans argumenter. Puis, ce soir fatidique, ce fut la goutte qui fit déborder le vers d’eau. Elle s’opposa à lui très clairement et pour la punir de cet affront, il avait l’intention de défouler sa colère sur moi. Ma mère, paniqua, la seule personne qu’elle souhaitait protéger c’était moi. C’est alors qu’elle me prit par la main, puis s’enfuit de la maisonnette.
Nous trouvâmes, après quelques heures de marche, refuge chez un ami d’enfance à ma mère, un certain monsieur Aldaya. Un homme qui s’était hissé jusqu’au haut de l’échelle aristocratique. Il nous accueillit chaleureusement chez lui et nous pria de faire comme chez nous. L’aristocrate nous présenta aux servants de la maison ainsi qu’à son fils Elliot. Il était plus âgé que moi. Deux ou trois ans de plus. Malgré notre mince différence d’âge et notre immense différence en statut social, nous nous fîmes rapidement amis. Il m’expliqua un jour que sa mère était morte en le mettant au monde. Elliot avait un air triste, mais en même temps soulagé. Soulagé d’avoir pu se libérer de ce fardeau. En voyant le bien que cela lui procurait, je ne puis m’empêcher à mon tour de raconter ce que nous vivions avec mon père. Ce fut un poids de moins sur mes épaules. Elliot et moi, nous nous rapprochâmes de jour en jour. Nous fîmes la découverte de nos intérêts similaires tels que la lecture et la musique. Elliot prenait des cours privés de piano et dans nos temps perdus, il m’enseignait ce qu’il apprenait. Nous passions des heures à pianoter ou à lire des livres d’aventures.
Pendant ce temps, M. Aldaya et ma mère aussi se rapprocheraient tranquillement l’un de l’autre. Puis, avant même qu’on s’en rendent compte, ils nous annoncèrent leur mariage. Je considérais déjà monsieur Aldaya comme un père, mais cela fut officiel. Nous étions bouche-bé. Cela nous surprit et nous réjouissait, car cela signifiait que nous étions maintenant frères. Cela nous permit de se rapprocher encore plus, mais cela ne fût pas de longue durée. M. Aldaya avait inscrit Elliot dans un collège prestigieux du coin où il habiterait en dortoirs en permanence. Cela me brisa le cœur. Mon seul ami, mon seul frère partait. J’avais une misère incroyable à le laisser partir.
Quelque temps avant son départ, nous étions assis tous deux devant le piano et il se tourna vers moi. Il me regarda longuement dans les yeux, puis suite à ce silence interminable, me demanda pourquoi je me cachais derrière ces lunettes qui ne m’étaient pas nécessaires pour le moment. Je lui répondis que je ne cachais rien. Je ne voulais simplement pas voir. Ne pas voir ces lumières. Je lui expliquai que je voyais le monde différemment des autres que je voyais des lumières dorées et j’entendais des murmures, autrement. Il me demanda d’enlever mes lunettes afin qu’il puisse voir mes yeux, pour une fois. J’étais hésitant, mais le fis pareille. Les lumières et les murmures réapparurent tout d’un coup. Il m’observa quelques minutes et m’exprima à quel point mes yeux étaient envoutants. Elliot disait que je ne devais pas gâcher un si bel attrait. Depuis, ce temps je ne mis plus aucune lentille de contact.
Puis, le moment de quitter arriva. Lorsqu’il était temps de lui dire au revoir, je m’étais enfermé dans ma chambre. J’étais encore immature. Je ne voulais pas faire mes adieux. Nous nous étions quittés sans même se saluer. Cette décision, je la regrettai pour le restant de mes jours. Les jours devenaient de plus en plus longs. La maison avait perdu de sa vie. Les activités semblaient ennuyantes. Ce n’était plus pareil sans Elliot.
Un an suite à son entrée au collège, un jeune homme vint sonner à notre porte. Celui-ci se déclara policier, il disait investiguer une affaire de disparition soudaine. Nous n’y comprirent absolument rien jusqu’à-ce qu’il nous explique la situation plus profondément. Apparemment, le collège où Elliot avait complètement disparu, y compris tous les élèves qui s’y trouvaient à ce moment. Le collège avait disparu en matinée d’après le policier. Le policier nous mit au courant que ce phénomène avait touché un bon nombre d’habitants de l’île. Il nous y invita à lui reporter toutes informations qui pourraient s’avérer utile pour l’enquête et nous promit que s’il avait des nouvelles qu’il nous les ferait parvenir. Quelques semaines plus tard, cet évènement mystérieux fût surnommé le bug.
Cette nouvelle me frappa. Ce fut comme si un couteau s’enfonça dans ma poitrine. Mon cœur avait arrêté de battre. Elliot était tout pour moi. Jour après jour, mon état de santé se dégrada. Je fus diagnostiqué d'une dépression majeure. Je n’étais plus qu’une piètre ombre de moi-même. J’avais recommencé à porter ma fidèle paire de lunettes, celle que j’avais mis de côté sous le conseil d’Elliot. Je m’étais enfermé dans ma chambre. À lire et relire les livres qu’on avait l’habitude de lire ensemble. Je pianotais certaines pièces qu’il m’avait apprises, mais sans plus. Ma vie avait pris un rythme ralenti.
Mes parents étaient dévastés eux aussi, mais ils ne l’avaient pas pris aussi mal que moi. Je pense que les deux ont eu la chance de se réconforter l’un, l’autre. De plus, ils s’inquiétaient gravement pour moi. J'errais dans ma chambre sans aucun but et refusais catégoriquement d’en sortir.
Tout d’un coup, les lumières dorées et les voix ne pouvaient plus être masquées par les lentilles de contact. C’est alors que je m’aperçus qu'il n’était plus question de points scintillants de lumière, mais des silhouettes dorées. Je reconnus alors parmi les nombreuses silhouettes celle d’Elliot. Elle s’approcha de moi et me murmura que je devais continuer à vivre, poursuivre ma voie. Il me supplia de le faire si ce n’était pas pour moi, pour lui. De chaudes larmes descendirent lentement sur mes pommettes. Je pleurai, pleurai. Je fis le deuil que je n’avais pas eu la chance de faire et je lui dis l' « au revoir » que je n’avais pas eu le courage de lui dire. Je n’ai jamais su si cette apparition n’était que le fruit de mon imagination, mais j’aime croire que c’était bien lui.
Pour la première fois depuis la nouvelle, je sortis de ma chambre. Je me dirigeai vers le salon où mes parents me regardèrent étonnés et les yeux pleins d’eau. Ils m’étreignirent de toutes leurs forces et exprimèrent leur joie de me revoir. Je leur fis alors part de ce que je voulais maintenant faire. Je voulais aller au lycée Xényla, puis commencer des cours de piano en mémoire d’Elliot. Mes parents, si heureux de cette nouvelle, remplirent le formulaire sans aucune hésitation. Mon entrée à Xényla fut un nouveau début.