Tournent les vies, tournent et s'en vont

« Tu es née d'une Reine, »

La mère de Lindsay était considérée comme la plus belle femme du quartier Nord, ses cheveux de blé, ses prunelles parme et des traits fins, harmonieux qui contrastaient avec ses courbes généreuses. Toujours richement vêtue, Shirley aurait pu être confondue pour une riche dame de la haute bourgeoisie, mais la réalité en était bien différente.

Ce n'était qu'une fille de joie parmi tant d'autres dans le district et bien qu'elle vécût bien mieux que la moyenne, Shirley ne sera à jamais qu'une prostituée. Cette dernière était d'ailleurs effrayée de vieillir, de perdre sa renommée aussi rapidement qu'elle l'a obtenue. Cette gloire ne s'avérait qu'être éphémère, un jour, elle sera remplacée et on la jettera dehors, ou plutôt, son mac la laissera tomber. La maison close qui lui servait de refuge rejetait également toutes les femmes incapables à travailler.

Tandis que la peur la rongeait, un semblant d'espoir se ralluma lorsqu'on lui proposa une offre :produire un enfant et l'offrir à la maison close en échange d'une vie confortable, une retraite.

Une retraite pour une prostituée ?Personne n'en aurait jamais eu l'idée, et pourtant si. Shirley acceptera l'offre immédiatement, son esprit déjà trop brisé et dément afin de penser à la vie du futur fils ou fille.

Elle contacta l'un de ses clients et amants, le plus beau qu'elle connaissait et quelques mois plus tard, sa grossesse débuta. On la chouchouta, la dorlota, tout se passa bien jusqu'au bout des neuf mois, lorsque qu'une tête blonde naquit.

« Tu as été élevée comme une Princesse, »

Lorsque qu'elle atteignit ses quatre ans, on remarqua immédiatement sa ressemblance avec une poupée. Si Shirley était une séductrice née, sa progéniture semblait être plus posée et calme, plus noble.

C'est ainsi qu'elle devint le fruit d'une ambition douteuse, on voulait faire d'elle, la fille d'une courtisane, une petite princesse. Après tout, il devait y avoir quelques riches hommes- ou femmes- pervertis sur l'île, en quête d'un jouet ou d'un produit sur lequel se défouler, peu importe de quoi. Lindsay était parfaite pour ce rôle et vaut bien une somme exorbitante.

On l'éleva alors ainsi comme une princesse. Elle a été vêtue comme telle, éduquée ainsi :cultivée mais pas trop, obéissante et capable d'exécuter des tâches aussi simples que complexes. Ce fut également un réel défi de la garder pure et innocente- afin que l'heureux acheteur puisse la lui briser, si l'envie lui en prend.

« Et tu es destinée pour un Roi. »

En grandissant, elle attisa haine et jalousie autant que désir et perversion. Les autres filles jalousaient son traitement de luxe, sa beauté ou même le simple droit à l'éducation dont elles n'avaient jamais eu la chance d'obtenir. Les clients et clientes, eux, frémissaient d'impatience afin qu'elle soit mise sur le marché.

DE L'AUTRE COTE DU MIRROIR 

« Tu es née d'une reine, mais quelle reine ?Ce n'était qu'une courtisane vieillissante, désespérée dont la seule quête était celle de l'attention, d'une gloire putride et stupide. » Sa mère ne l'a jamais considéré comme sa fille, la chaire de sa chaire.

Elle n'était qu'un objet, une marche de plus afin de préserver son besoin d'être reconnue, d'être sous les projecteurs. Shirley était une femme qui a perdu toute forme de bon sens, sa dignité, son honneur, sa fierté- tous ont été réduits en miettes depuis bien longtemps. Sa beauté sans pareil ne révélait rien de plus qu'un être meurtri qui ne pouvait plus que se consoler dans les mensonges, les mots doux des clients.

Que pouvait-elle demander de plus ?Les autres femmes refusaient de compatir avec elle, elle était bien trop éblouissante. Aucun homme sain d'esprit n'aimera réellement une prostituée, une fille de joie, elle était bien trop terne et déchue.

Alors, on s'embobine, on se laisse aller dans l'alcool, la drogue  et puis qu'importe si ces compliments et ces « je t'aime » sont faux, les entendre la suffisait. Se faire enlacer, aimer, ce n'était pas si mal et avec son esprit confus, elle pouvait oublier sa peine.

« Tu as été élevée comme une princesse, mais de quoi parles-tu, insolent ?Que comprends-tu de ma vie ?Je ne suis pas aussi sotte que j'en ai l'air, moi, je ne parle pas ou peu, j'exécute les ordres qu'on me donne, c'est vrai. Mais si je refusais, qu'est-ce qui m'arrivera ?Je n'ai pas honte à avoir peur, alors je supporte. »

Son esprit était plus aiguisé que l'image de poupée décorative qu'on lui donna, l'éducation qu'on lui avait donnée lui offrit un esprit critique et observateur. Dehors, elle joue son rôle pour garder son privilège, si l'on pouvait appeler cela ainsi, mais dedans, son coeur s'emplissait de la réalité. La masquerade qu'était sa vie, elle le savait, tout aussi bien que de ce dont on attendait d'elle.

Par tous les moyens, elle voulait s'échapper de cet endroit. On l'enfermait généralement dans sa chambre, avec ses livres, son lit et autres meubles essentiels. Parfois, des futurs clients ou clientes venaient l'observer- elle avait remarqué un trou dans une des peintures ornant les murs. Il n' y avait pas même une fenêtre, car les rues mal-famées pouvaient « tâcher » son innocence.

Shirley était la seule ayant le droit de lui rendre visite régulièrement, en tant que mère. Mais ce que personne ne savait, c'était que malgré la vie confortable promise, la femme continua de sombre dans sa folie.

Au fond, elle ne cherchait sans doute pas un lieu paisible ou de l'argent, elle ne comprenait plus ces valeurs. Mais sa beauté disparaissait, inéluctablement, à cause de la grossesse. Ses amants, ses clients perdaient peu à peu leurs intérêts pour elle. Au contraire, ils commencèrent à lui parler de Lindsay, de ce que la petite devenait.

Et ce sentiment de haine s'alimenta à chaque visite, d'année en année, jusqu'à ce que ça éclate. Sans qu'aucune filles ni membres du personnel le sachent,Shirley déversait toute sa haine sur sa fille, chaque fois, chaque semaine.

Lindsay ne savait même plus quand cela avait commencé, mais se souvint seulement des pleurs, des larmes qu'elle avait versées les premières fois. L'incompréhension, la tristesse et la colère se changèrent graduellement en indifférence, en dégoût. Elle comprit le Mal qui rongeait sa mère et dont elle en était la source.

Lindsay, traîtresse de son sang, la petite princesse qui surpassa et ombra la Reine. Celle qui n'aurait pas dû naître, n'aurait pas dû exister. L'épitomé même du regret et du malheur...Mais elle ne se plaindrait pas. Sans ça, elle serait effectivement devenue une poupée manipulable.
 
« Tu es destinée pour un Roi ?Te crois-tu dans un conte, imbécile ?Ce que je vois, ce ne sont que des êtres mauvais et qui se sentent excités par l'idée même d'une poupée vivante, utilisable à souhait, peu dérangeante et dépourvue de libre arbitre. S'il y avait un Roi, alors ça serait celui de la pathologie qui ne veut rien de plus que se délecter de son sombre fantasme. »

Toujours enfermée dans sa chambre, lieu parfait pour développer son pouvoir. Shirley était une mentaliste aussi et la petite tête blonde présuma que l'inconnu qui lui servait de père en était sans doute un également. Mais peu importe, sa soif de liberté et de découverte se développa en la capacité de former des portails. Ce n'était pas grand-chose à son niveau ;une paire de portails qui ne tenaient qu'environ deux minutes. Mais elle ne les gardait pas aussi longtemps en général, juste pour aller d'un point A à un point B puis les fermer.

Si elle souhaitait rentrer, il fallait re-créer une paire, consommant un peu plus de son énergie. Malheureusement, elle ne pouvait pas s'aventurer bien loin, la distance possible entre les deux portails était de cinq-six mètres au maximum. De plus, elle devait être capable d'imaginer, de reconstruire le point B dans sa tête et donc de l'avoir vu au moins une fois.

Lorsque les Bug firent leurs apparitions pour la première fois, les cris et l'agitation encrèrent une idée en Lindsay. Profitant de la panique, elle utilisa son pouvoir pour passer à travers la porte et s'enfuir en courant. Les poursuivants, peu nombreux, furent vite semés par la même méthode.
Libre. Elle était libre. Enfin !

« Mais tu n'as pas d'endroit où aller, Lindsay. Personne ne veut de toi, celle qui est née d'une Reine déchue, a vécu comme une Princesse-objet et devait être achetée par un quelconque Roi corrompu. »

Les habitants, le Conseil, personne ne pouvait s'occuper d'elle, alors on l'envoya dans le lycée Xényla. Ils verront bien, se disent-ils, ce que cette petite deviendra après, ils jugeront ensuite après qu'elle obtienne son diplôme et sa majorité.

C'est ainsi que Lindsay, par sa curiosité due à une existence confinée dans une cage, rejoignit la classe des Passions en tant que première année, âgée alors de quinze ans. En effet elle a choisi cette classe qui, de son point de vue, lui correspondait le mieux puisque curieuse et passionnée d'histoire sous toutes ses formes.